Que dire sur moi-même ?
L’effacement derrière un appareil de captation ou de création m’est une seconde nature. Bien mieux derrière l’objectif que devant – quoiqu’il m’arrive de servir de modèle à quelques rares et formidables personnes – je n’estime pas que mon apparence physique ait quelque chose de particulièrement important à raconter.
Je suis presque quadragénaire, du haut de ma petite taille je regarde le monde, émerveillée comme une enfant, curieuse comme un chat. Je touche à la peinture, au dessin, à l’infographie, aux images générées par intelligence artificielle, et à la photographie. Etant plutôt introvertie – comme un nombre considérable de photographes -, mon appareil photo est mon armure, mon bouclier, l’intermédiaire entre le monde et moi.
C’est aussi et surtout le complice, le talisman technologique qui me permet de capturer des instants précieux, des moments magiques, et de suspendre le temps. Une image vaut parfois mille mots, et je partage sous forme de photographies ou de créations visuelles le monde tel que je le vois – les choses que je veux raconter, sans y mettre de mots.

Mon travail
Mon travail consiste à capturer des concepts ou des moments, à les attraper par les cheveux comme on attrape la tignasse de Kairos, dans la mythologie grecque. Saisir l’occasion, fixer l’émotion, détecter la possibilité d’un poème sans paroles, c’est ce qui m’anime, au sens fort du terme. Je voudrais tout pouvoir saisir. C’est l’immense joie et l’immense drame de mon existence.
Qui se levait la première, le matin, rien que pour sentir l’air froid sur sa peau nue ? Qui se couchait la dernière, seulement quand elle n’en pouvait plus de fatigue, pour vivre encore un peu plus la nuit ? Qui pleurait déjà toute petite, en pensant qu’il y avait tant de petites bêtes, tant de brins d’herbe dans le pré et qu’on ne pouvait pas tous les prendre ?
Antigone – Jean Anouilh
Je travaille beaucoup en Noir et Blanc. Cependant chaque image, prise individuellement, peut réclamer à toute force des couleurs vives, des contrastes violents, des blancs scarifiés, des noirs d’encre. Chaque photo a ses propres exigences et ses propres récits, qui peuvent différer considérablement en Noir et Blanc ou en Couleur.
J’aime tant la vie, le monde, la beauté qui m’entoure, je suis à tel point saisie par le vertige du Syndrôme de Stendhal, qu’il m’est impossible de ne pas en être submergée. Ce débordement m’oblige à créer, en connivence avec la vie, la nature, les gens. Ce que j’espère, c’est vous donner à voir, à ressentir, à penser, à sourire, à comprendre. Je trouve la plupart des gens très beaux et j’aime qu’ils se trouvent beaux à travers mon regard.
Je suis à ce point pris d’amour que je ne sais si je vis en moi-même.
El Melancolico – Tirso de Molina

Je vous parle depuis la Nuit
En toute humilité, en toute confidence, à travers mon travail je vous parle depuis la nuit.
A ma manière.

Je vous parle depuis la nuit douce, celle où l’on se musse dans les draps chauds après une journée trop longue. La nuit velours, comme le pelage du chat noir, soyeuse et réconfortante, la nuit ronronnante passée en compagnie d’un livre ouvert, d’abord lu, puis tombé sur soi quand on s’est endormi.
Je vous parle depuis la nuit d’amour durant laquelle l’enfant est conçu. La nuit utérine où la vie pousse, dans la béatitude, dans la pure sensation et l’ignorance bénie. La nuit souterraine où germe la graine à la recherche de la lumière, qu’elle trouvera à force de lutter contre la gravité.
Je vous parle depuis la nuit crépitante où les amis échangent des histoires et se chauffent les mains autour d’un feu parti du fer, de l’étincelle et de l’amadou, entretenu et surveillé avec soin dans la nature.
Je vous parle depuis la nuit où le moindre bruit inspire la crainte, où les aboiements dans la forêt terrorisent ceux qui ignorent que la sinistre créature imaginée n’est qu’un chevreuil. La nuit fantasmatique où l’on prend des détours pour rentrer chez soi, les clés à la main, comme une arme contre l’inconnu qu’on soupçonne d’abord du pire. La nuit où on est importuné, volé, agressé, ou pire encore, et où on ne l’aurait jamais cru possible.
Je vous parle depuis la nuit où l’on lutte, contre le sommeil, contre soi-même, contre les pensées qui assaillent l’esprit et ne lui permettent pas de trouver le repos. La nuit de la lutte pour naître ou pour ne pas mourir. La nuit qui suit l’inhumation d’un être cher. La nuit qui questionne, loin de l’agitation du monde, mais proche de l’agonie de l’esprit qui ne se tait jamais.
Je vous parle depuis la nuit piquetée d’étoiles, dans un ciel si vaste qu’il donne le vertige. Tour à tour terrifiant, exaltant, écrasant, propice au vagabondage imaginaire comme à l’innovation scientifique. La nuit inspirante et mystique qui souffle à l’homme, depuis le vide intersidéral semé de lumière, la nécessité de remplir le puits et de traduire l’émotion, le pressentiment, l’intuition, dans le monde matériel, sous forme d’oeuvres d’art.
Je vous parle depuis la nuit des temps, où se détache encore, noir sur noir, l’imposant mur des siècles foisonnant de visages, de rumeurs et de peuples.
Je vous parle depuis toutes ces nuits, et plus encore. Si vous voulez m’accompagner sur ces sentiers nocturnes de l’esprit, où flottent des lumières et des étoiles inattendues, faisons un bout de chemin ensemble.
